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Ses yeux ne voient pas, mais son esprit a déjà fixé le cap et ses organes déterminés à y arriver. Étudiante non-voyante en licence 1, Khady Ndiaye était déjà à l’UCAD avec ses deux yeux avant d’y revenir après avoir perdu la vue.

Assise sur son lit d’étudiante, les mains sur l’ordinateur, Khady Ndiaye ressemble, à première vue, à n’importe quel pensionnaire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Seulement, le destin avait déjà décidé avant sa naissance que la vie ne serait pas pour elle un long fleuve tranquille. Inscrite en licence 1 à l’Institut des métiers du droit, cette non-voyante devait se battre durement pour être là où elle est aujourd’hui. « Je souffrais d’une myopie au début. Je portais des lunettes. Parfois j’avais des difficultés pour voir au tableau, mais je restais attentive pour entendre ce que disait le professeur ».

Lorsqu’elle est venue au monde en 1992 à Thiénaba, la jeune Khady a trouvé des membres de sa famille qui souffraient de problèmes de vue. Ce que personne ne savait à l’époque, c’est qu’il y a une maladie héréditaire qui est en plus évolutive. Un mal dont elle ne sera informée que plus tard. D’ailleurs, ses sœurs n’ont jamais été à l’école parce qu’elles ne voient pas la nuit. « Mon père a eu pitié d’elles, il ne les a pas inscrites, mais puisque moi je suis têtue, je suis allée m’inscrire », sourit-elle.

A la maison, l’élève du lycée de Thiénaba usait d’une méthode assez particulière pour mémoriser ses leçons. « J’utilisais parfois une lampe torche, parfois je m’exposais sous le soleil pour avoir suffisamment de lumière », raconte-t-elle. C’est dans ces conditions de débrouille que Khady Ndiaye a obtenu son baccalauréat au lycée Jules Sagna de Thiès. Elle est orientée à la Faculté de Droit de l’Université Cheikh Anta Diop. En première année déjà, la situation commence à se dégrader. « Quand je devais faire des devoirs, j’utilisais une lampe torche. Parfois on m’aidait à disposer d’un papier A4 pour que je puisse lire ».

Mais la vue de Khady Ndiaye s’est dégradée davantage. Un jour, elle est partie faire une séance de travaux dirigés (TD). A la sortie, il était 20h et elle logeait à Claudel (actuelle Cité Aline Sitoé Diatta). Sur le chemin de retour, puisqu’elle ne voit pas bien, elle est tombée sur un égout laissé ouvert. Plus de peur que de mal. Mais ce sera le déclic. « Quand je me suis débrouillée pour arriver à la chambre, j’ai décidé d’arrêter les études, c’était en 2016 », se souvient-elle.

L’attitude des voyants en amphi et dans la chambre

Elle appelle un de ses frères pour l’informer de la situation et de sa décision. N’ayant pas d' alternative, le frère lui propose de rentrer au bercail. C’est le début d’une vie sans perspective. Dans la famille, personne ne sait qu’il y a d’autres possibilités à explorer. Finalement, la lueur d’espoir est arrivée par le biais d’une de ses tentes qui l’informe qu’il y a une école destinée aux non-voyants : l'Institut national d'éducation et de formation des jeunes aveugles (Inefja).

Dans sa détermination, elle entreprend les démarches pour intégrer l’établissement. Elle y apprendra l’informatique et la méthode braille. Khady connaît par cœur les touches de l’ordinateur. Avec le logiciel NVDA, une synthèse vocale, elle a la possibilité de prendre note avec son ordinateur quand le professeur dicte la leçon. Membre de l’amitié des aveugles, elle obtient une seconde chance à l’université par le biais de Moustapha Beydi Ba, un non-voyant, agent de l’Ucad qui officie à la Direction de la vie universitaire et du service à la communauté (Dvusc).

Aujourd’hui, Khady Ndiaye est plus que jamais déterminée à réussir sa vie. En dépit des obstacles, elle espère surtout embarrasser une carrière en droit. « J’aime les études, j’ai commencé à lire avant même d’aller à l’école. Quand on regardait la télé, c’est moi qui lisais les programmes pour ma maman qui aimait les téléfilms. Aujourd’hui, je veux devenir magistrate ou avocate », lance-t-elle.

''C'est à nous de nous imposer''

Pourtant, malgré un retour à l’enseignement supérieur, le combat est loin d’être gagné. Aujourd’hui encore, la situation reste difficile à l’université. « Quand vous êtes une fille et que vous avez une canne, vous attirez les regards », se désole-t-elle. En classe, également, il faut faire preuve de courage face à certains comportements. En effet, il arrive que les voyants refusent d’être dans le même groupe que les aveugles. « Ils nous sous-estiment. Nous l’avons subi récemment. Ils pensent que parce que nous ne voyons pas, nous n’avons pas le niveau intellectuel », regrette Khady.

Pourtant, l’étudiante ne semble pas en vouloir à ses camarades. Non seulement elle ne garde aucune rancune, mais elle affiche une détermination à se faire accepter. « C’est à nous de nous imposer pour que nous soyons reconnus». Mais pour y arriver, il faut un accompagnement. Pour la bibliothèque par exemple, elle regrette l’absence d’une version électronique ou braille des ouvrages. Ce qui aurait augmenté leur chance de réussite. Les étudiants non-voyants ont également besoin d’imprimante braille et de feuille bristol.

Outre les aspects pédagogiques, il y a le côté social. Déjà, le logement s’obtient difficilement. Et même s’il est acquis, il y a un défi à relever avec les voyants qui manquent parfois d’attention par rapport à leur handicap. « Ils peuvent oublier notre situation en mettant de l’eau chaude là où il ne faut pas ou bien laisser certains objets traîner, ce qui peut être à l’origine d’accident ». Comme quoi, le chemin est long pour tout le monde, davantage pour les étudiants non-voyants.

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