Aller au contenu principal

Analyse des défis sécuritaires au Sahel : Présentation du Professeur Ahmadou Aly Mbaye

Le 4 juillet 2024, l’Amphi Général Mamadou Niang du Camp militaire Général Idrissa FALL a abrité la cérémonie de clôture de l’année académique 2023-2024 de l’Institut de Défense du Sénégal (IDS). La cérémonie a réuni dans cette salle emblématique, la haute hiérarchie militaire sénégalaise, avec à sa tête le Chef suprême des armées, le Chef de l’Etat, accompagné de son premier ministre et des membres de son gouvernement. A cette occasion, et à la demande du Général Koly Faye, Directeur de l’IDS, le Recteur a prononcé la leçon d’usage, sur le thème : "Le Sénégal face aux défis sécuritaires dans le Sahel : état des lieux et perspectives".

Un partenariat académique lie l’Université Cheikh Anta DIOP et l’Institut de Défense du Sénégal. En effet, l’UCAD héberge le Master en Stratégie et Défense niveaux 1 et 2  de l’Ecole d’état-major et de  l’Ecole de guerre.

La présentation du recteur s’est déroulée en trois temps : (a) l’état des lieux sur la situation sécuritaire au Sahel, mettant en évidence le cas spécifique du Sénégal, (b) les facteurs explicatifs de l’insécurité, (c) les points d’attention pour le Sénégal.

En présentant l’état des lieux sur l’insécurité dans le Sahel, le recteur a présenté un certain nombre de données statistiques montrant un profond changement dans la structure des économies du Sahel depuis le début des années 2010, avec une prévalence plus forte des activités informelles et criminelles sur les autres secteurs de l’économie. Par exemple, la part du secteur tertiaire formel malien dans le PIB total du pays a perdu presque 50 points, passant de presque 90% en 1985 à environ 40% en 2017. Non seulement les économies du Sahel se sont davantage informalisées ces dernières années, mais elles sont également caractérisées par une prévalence plus accrue des activités criminelles.

Le commerce transsaharien est en effet marqué de nos jours par un trafic très dense d’armes légères convoyées par voie aérienne ou terrestre, de produits contrefaits, de stupéfiants, et d’êtres humains. Les routes de trafic, ainsi que les zones servant de hubs, de même que les zones convoitées par les groupes rebelles qui se battent pour leur contrôle, ont été également présentées. Malgré la rapide progression observée sur le nombre d’incidents de sécurité, depuis 2019, au Sénégal, en particulier les émeutes et autres manifestations violentes, il est resté très en deçà de ce qui est observé dans les autres pays du Sahel. Par exemple, l’année 2023 qui a marqué le pic du nombre d’incidents avec 288 événements de conflits au Sénégal, a vu le nombre moyen de conflits pour les autres pays sahéliens s’élever à 1160, soit plus de 4 fois le niveau atteint au Sénégal. De plus, les violences armées dont le nombre est marginal au Sénégal, constituent l’essentiel de ces incidents dans les autres pays.

Les facteurs explicatifs de ces irruptions de violence sont à rechercher, selon le conférencier, dans trois catégories de facteurs : la structure démographique dans les pays du Sahel, le chômage et le sous-emploi des jeunes, et les difficiles conditions économiques auxquelles les populations urbaines et rurales sont exposées. La structure démographique, notamment la part des jeunes dans la population totale est un facteur de risque de troubles socio-politiques, de plus en plus reconnu comme significatif par les études consacrées à la question. Selon la CIA (Central Intelligence Agency), lorsque la proportion des jeunes (âgés de 15-24 ans) dépasse 20% de la population totale, la probabilité d’occurrence des troubles socio-politiques augmente de façon significative. D’autres études multi-pays montrent que lorsque cette proportion dépasse 35% de la population adulte, le risque de conflits armés est de 150% supérieur à ce qu’il est dans les pays avec une structure démographique similaire à celle de la plupart des pays développés.

Par ailleurs, les jeunes de moins de 14 ans représentent plus de 20% des recrues dans les conflits en Afrique et ceux des zones rurales, où l’influence de l’Etat est plus faible, sont particulièrement ciblés dans les campagnes de recrutement des mouvements armés. Dans la plupart des pays du Sahel, ce seuil de 20%, qui se situe largement au-dessus du niveau de celui des autres régions en développement, est largement dépassé. Ce qui fait que le risque de trouble politique en Afrique subsaharienne, qui est de 40% est de 10 points, supérieur à celui de l’Afrique du nord et 4 fois celui d’Asie du Sud-Est.

Les conditions économiques difficiles dans les pays du Sahel constituent un autre facteur de risque auquel les pays du Sahel sont exposés. A ce niveau, le conférencier fait la distinction entre les zones rurales et les zones urbaines. En zones rurales, le changement climatique qui contribue à une raréfaction des ressources naturelles, l’eau en particulier, est un important déterminant des conflits intercommunautaires, comme les conflits éleveurs/agriculteurs qui se doublent de conflits interethniques, mais pas seulement. Par contre, en zones urbaines, à côté du chômage et de la précarité des emplois, c’est la hausse des prix des denrées de première nécessité qui constitue le principal élément déclencheur. C’est que ces produits comptent pour beaucoup dans le panier de consommation des ménages les plus pauvres, et les hausses de prix augmentent tout naturellement leur vulnérabilité. Prenant le cas du Sénégal, le conférencier a fait référence à une étude qu’il a réalisée sur le sujet, avant la Covid 19, montrant que le sucre, l’huile végétale et le pain comptent pour 14% du panier du quintile le plus pauvre (20% des ménages plus pauvres). Un alignement de leurs prix à ceux de la Gambie, à l’époque, aurait augmenté la consommation de ces ménages de 3%, et tiré 370000 personnes de la pauvreté. Dans le même temps, les secteurs de production concernés par ces produits sont plus intensifs en main-d’œuvre non qualifiée que bien d’autres secteurs comme les mines, les cimenteries ou les industries chimiques. Les emplois dans ces secteurs devraient aussi être préservés pour éviter de davantage détériorer les difficiles conditions du marché de l’emploi. Une approche plus ciblée des bénéficiaires de la subvention, les concentrant sur les 20%-30% les plus pauvres, permettrait de ménager la chèvre et le chou.

Professeur Mbaye a terminé sa présentation par quatre points d’attention pour le Sénégal :

  1. Surveiller l’évolution des prix des denrées de première nécessité et en même temps, les emplois générés par les secteurs concernés. Un bon ciblage des bénéficiaires de la subvention pourrait y contribuer.
  2. Mieux occuper la jeunesse par une politique de création d’emplois décents plus agressive, mais également par des sessions de formation ciblées, des activités de jeunesse de diverses formes à identifier et concevoir avec les professionnels concernés.
  3. Améliorer le système de renseignement sur le plan national et communautaire, étant donné le caractère régional de la menace djihadiste.
  4. Développer le partenariat entre les universités et les forces de défense et de sécurité pour mettre à niveau les capacités nationales dans le domaine de la technologie militaire, mais aussi dans la maitrise des facteurs de risques socio-politiques des turbulences et autres conflits civils.

 

PS : En marge de la cérémonie, le Recteur Mbaye a présenté au Président de la République le nouveau diplôme sécurisé de l’UCAD et lui a remis son diplôme original.